Zentrum Paul Klee Berne Fondée par Maurice E. et Martha Müller et les héritiers de Paul Klee
Expositions 17.11.2018 – 03.03.2019

Emil Nolde

Emil Nolde, l’un des plus importants représentants de l’art moderne, compte parmi les artistes les plus connus du 20ème siècle. Son œuvre se caractérise par l’exceptionnelle intensité des couleurs. Pour échapper à la tradition artistique européenne et créer un langage formel qui lui soit propre, le peintre s’intéresse au grotesque, au fantastique et à ce qui relève pour lui de l’exotique. Quelle que soit la forme sous laquelle Nolde a été confronté à l’Autre, à l’inconnu, il semble que cela ait stimulé son travail et l’ait libéré des habitudes et des normes artistiques. Ces différents aspects, qui traversent toute sa création tel un fil rouge, sont présents dans les quelque 170 oeuvres de l’exposition.

Le Zentrum Paul Klee consacre son exposition d’hiver 2018/19 à Emil Nolde, l’ « artiste nordique », comme le nomme Klee dans le portrait qu’il a fait de lui en 1939. Nolde et Klee n’étaient pas seulement contemporains ; c’étaient aussi des amis qui se rendaient visite l’un l’autre et qui, dans les années 1920 et 1930, ont régulièrement correspondu. À l’occasion du 60ème anniversaire d’Emil Nolde, Klee a rédigé un éloge pour un recueil d’hommages, qui fut publié en 1927. Bien que Klee s’y caractérise lui-même comme un être éloigné de la terre, il percevait entre eux comme une affinité élective : « Nolde est plus que seulement lié au sol, il est aussi un démon de cette région. Même si l’on réside soi-même ailleurs, on perçoit en permanence la présence de ce parent choisi, ce cousin des profondeurs. » Nolde constatait également : « Nous étions très différents, mais il reconnaissait sans restriction la valeur de mon art, alors qu’il peignait lui-même dans un tout autre style, et ça c’était très appréciable. » 

L’exposition du Zentrum Paul Klee ne cherche pas à confronter les deux artistes, car leurs langages plastiques sont trop dissemblables. Nous nous concentrons cependant sur des aspects de l’œuvre de Nolde qui traversent toute sa création tel un fil rouge et que nous retrouvons aussi constamment chez Klee. Les deux artistes partagent la même fascination pour le grotesque, le fantastique et l’‹ exotique ›. Les figures grotesques leur permettent de commenter les événements de leur temps avec un œil critique. Dans des représentations fantastiques, Nolde se libère totalement de modèles et d’idées toutes faites, tandis que, pour Klee, le règne des esprits, celui des créatures démoniaques et autres hybrides offrent un monde parallèle fascinant. Au début du 20ème siècle, l’‹ exotique ›, tout ce qui se situait en dehors de la tradition européenne, permit à Klee et Nolde, ainsi qu’à bon nombre de leurs contemporains, d’avoir accès à un nouveau langage formel.

L’exposition ouvre sur les « Figures grotesques de la montagne », créées peu avant 1900 lors d’un séjour en Suisse ; elle consacre aussi plusieurs sections aux « Fantaisies » peintes à l’écart, dans le Jutland. Les caricatures de la vie nocturne à Berlin constituent un autre point fort de cette présentation. Si, la nuit, Nolde fréquente les cafés dansants, il passe ses journées au Königliches Museum für Völkerkunde (musée d’ethnologie) pour y étudier un art qui lui semble ‹ exotique ›. Il s’appuie sur ces études pour exécuter une série de toiles qu’il continue à exploiter par la suite : il en fait alors des natures mortes combinant de manière très peu orthodoxe des figurines qui proviennent de cultures extrêmement diverses. Autre thème abordé : le voyage dans les mers du Sud qu’entreprend Nolde en 1913-14. Les peintures et aquarelles réalisées sur place, ainsi que les impressions de voyage sur lesquelles il reviendra plus tard, témoignent du rapport ambivalent de Nolde à tout ce qui est étranger. Dans une certaine mesure, l’artiste est fasciné par le caractère ‹ primitif › des peuples indigènes, qui n’ont aucun lien avec la tradition européenne ; mais il redoute en même temps leur ‹ sauvagerie ›, confirmant ainsi les préjugés de l’époque.

Quelle que fût la forme de sa rencontre avec l’Autre, l’Inconnu, celle-ci semble avoir stimulé son travail créateur et l’avoir libéré de certaines normes et pratiques artistiques. Littéralement inspiré par l’inquiétante étrangeté, Nolde a donné naissance à une œuvre tout à fait singulière qui ne saurait être comparée à celle d’aucun autre de ses contemporains. À l’époque où il se voit interdit de peindre par les nationaux-socialistes, décision que Nolde, qui se sentait profondément allemand, ne pouvait comprendre, ont été créées ce qu’il a appelé les « images non peintes ». Rien d’étonnant à ce qu’il ait éprouvé, à ce moment-là, le besoin de fuir dans un monde imaginaire produisant d’innombrables esprits et créatures fabuleuses.

Une chronologie, étayée de documents d’archives, donne une idée des rencontres entre les deux artistes, d’expositions qui se recoupent et de relations communes. L’exposition est née d’une étroite collaboration avec la Fondation Nolde à Seebüll. 
À cette occasion paraît aux éditions Snoeck un catalogue en allemand et en anglais, où sera publiée pour la première fois la correspondance entre les Klee et les Nolde.